
Bienvenue au cœur de Pérégrinations maritimes d’un ciré jaune sur talons de 12, mon journal de bord depuis quelques années !
Vous êtes éditeur ?VIS MA VIE DE FEMME DE MARIN : RETOUR DE PORTO SANTO PAR PROCURATION, OU PLUTÔT PAR TEXTO…
10 mars 2018, je dépose le captain à l’aéroport pour qu’il aille chercher le bateau resté à Porto Santo. Mise à l’eau prévue le 12. Et on a, un peu comme si c’était Noël en retard, rendez-vous le 1er avril à La Rochelle pour changer (enfin) le moteur d’IO. Ce n’est pas un poisson, et avec un bateau dans le même pays que le moteur, c’est toujours mieux. Moi, sur ce coup-là, j’ai laissé ma place. Un (nouveau) golfe de Gascogne en plein mois de mars, très peu pour moi.
Non, le captain ne part pas seul, puisque son copain Phil s’est joint à lui. C’est ainsi deux bonshommes que je dépose à l’aéroport, la larme à l’œil. Bah oui, le golfe de Gascogne, tu sais jamais quand tu en reviens ni dans quel état.
Me voilà donc repartie en sens inverse, en mode femme de marin. « Tu vas voir, ça va passer vite », je lui avais dit… Foutaises.
Y a quand même comme un léger détail qui me turlupine. Phil avait bien parlé de son vol pour Cuba le 18 avril, mais pourquoi a-t-il dit il y a deux heures qu’il devait être rentré le 1er pour un chantier ? Il croit que Madère-La Rochelle ça se fait en deux jours ou quoi ? Il a dû se planter, c’est sûr.
Non, il ne s’était pas planté. Le bateau a bien été mis à l’eau, les mecs sont prêts à décoller, mais là, va falloir attendre, parce que vu la météo, t’as pas très envie d’aller fourguer IO là-dedans. Une fenêtre[1] se présente et repart comme elle est venue. Une deuxième tentative avortée oblige Phil à prendre l’avion en sens inverse. Il avait effectivement des obligations en France à partir du 1er avril, et, non, ce n’était pas non plus un poisson.
Ils sont quatre bateaux à attendre de partir du ponton de Porto Santo, et mon capitaine se retrouve tout seul pour la grande aventure.
« J’en rêve depuis des années, tu sais. » Oui, je sais, mais moi je vais surtout recharger ton téléphone satellite, mon amour. Ni une ni deux, me voilà à envoyer des mails chez Naya à Monaco qui nous avait rechargé le Graal à distance quand on était aux Acores deux ans plus tôt. Le mec se souvient de moi (vraiment ?) ; en 24 heures, l’affaire est pliée, l’Inmarsat[2] rechargé. Bon, et maintenant ? Maintenant, la fenêtre, c’est lundi. Ce lundi ? T’es sûr de toi ? T’as tout vérifié, le vit-de-mulet, tout ça, tout ça ?
Bon bah, d’accord. Je vais me transformer en Évelyne Dhéliat pour l’occasion, alors. Et jouer à Virtual Regatta grandeur nature.
Un texto par jour. La position, le cap, le moral. Un texto retour pour les prévisions et le mot d’encouragement. Ça va être long, moi je te le dis.
Et dire qu’il y a deux ans, on a mis 37 jours pour rentrer… C’est un métier d’être routeur[3], je lui demanderai un dédommagement à l’arrivée pour mon salaire de mars, tiens.
Trois jours de près pour commencer. Bah oui, pourquoi pensais-tu que tu allais démarrer direct dans du portant ? T’es sur IO, je te rappelle ! Les jours se suivent, le captain joue au Yams tout seul, mange pour quatre, s’ennuie… Quant à moi, je suis la météo comme si un cyclone allait lui tomber sur la tête. Quoique…
Au large de la Galice, première avarie. Le foc[4] HSD est déchiré. Pas plus de détails, mais à vrai dire on ne l’avait pas pour la transat’ retour en 2016, alors, pour encore une semaine, ça devrait le faire. Passage du cap Finisterre (toujours le même, la pointe de l’Espagne, l’enfer), il commence à fatiguer. Clément — un copain de La Baule qui m’aide à comprendre la météo — et moi, on commence à voir Ugo se rapprocher. Oh, l’bâtard (Ugo, pas le captain). Comprenez par là qu’Ugo est une dépression[5] menaçante pour le golfe de Gascogne. Ça va être gros, moche et violent.
« Ça devrait passer, La Rochelle, c’est dans trois jours, captain. On y va, c’est direct en ligne droite, t’as le vent qui pousse au cul, t’es parfait. »
Et là, mercredi 29 mars, un événement météorologique se produit, Ugo se rapproche et Clém’ me dit qu’il faut prendre une décision urgente pour les prochaines quarante-huit heures.
« On va le balancer dans le centre de la dép’ pour qu’il ait moins d’air. Et puis, appelle peut-être le CROSS[6] pour les prévenir qu’il est dans le Gascogne, mais pas émetteur sur l’AIS, sait-on jamais. »
Ah bah oui, tiens, c’est sympa comme conversation, j’ai bien fait de venir te voir, moi.
Changement de cap, arrivée prévue à La Baule plutôt que La Rochelle, on aura le temps d’aller changer le moteur un peu plus tard, on n’est plus à une semaine près, en fait.
Décision est prise de lui annoncer qu’il va falloir s’accrocher. 60 nœuds et de la houle de 9 m, fais le calcul. Enfin non, n’imagine pas, tu vas vomir. Sauf que les prévisions de 18 heures ont encore changé, et que ça ne sert plus à rien de repartir au cap 25[7]. La ligne directe pour La Rochelle, on la garde, et ça se calmera pour l’arrivée samedi. Oui, sauf que le captain, lui, il n’est pas trop d’accord. « Je suis vidé et y a de la casse, je m’arrête. » Ah. Soit. J’aimerais bien te revoir autrement qu’empalé dans un cargo[8], alors d’accord.
Il a décidé de s’arrêter à Cariño[9], le mouillage d’arrivée du golfe en 2015 avec Mika et de novembre dernier quand nous sommes descendus en plein hiver. Normalement, il le connaît. Normalement, ça ira.
Sauf que là, il est 3 heures du mat’, je ne dors toujours pas, et j’attends qu’il me dise que l’ancre est posée. Je ne sais pas si c’est plus fatigant à terre qu’en mer, j’en doute, mais crois-moi, femme de marin, c’est pas une vocation.
Si j’avais su, j’aurais réfléchi à deux fois avant de me lancer dans l’aventure. Une chose est sûre, c’est que le retour, je suis contente de le vivre derrière la météo sur mon ordi. Tu crois qu’il a rempli la bassine ?
[1] Une fenêtre météo est un créneau météo, rien à voir avec une porte à galandage.
[2] Le Nokia 3310 des téléphones satellites, pour recevoir la météo et des appels en plein milieu de l’océan. Sans le jeu du serpent.
[3] Pensée pour Nalec, merci pour les 37 jours de veille.
[4] Voile d’avant de 27 m2 que l’on a fait coudre sur mesure récemment par Hervé Aubry (un peu de pub pour HSD, sa voilerie). Une voile sur mesure, c’est un peu comme une robe de mariée, y a juste un peu moins de dentelle.
[5] Loin de la dépression qui t’emmènes chez le psy, ici on parle d’une zone où la pression atmosphérique est relativement basse par rapport aux zones environnantes. En gros, zone de mauvais temps voire très mauvais temps dans ce coin-là. Toujours pour plus de style, les marins appellent ces phénomènes des « dép’ ».
[6] Là, c’est sérieux : les différents CROSS sont les centres de surveillance et de sauvetage en mer.
[7] Cap 25 : angle exprimé en degré (de 0 à 360°, ici 25) dans le sens des aiguilles d’une montre, entre le nord et son axe longitudinal. Ici, cap au 25 signifie direction le nord, (très) légèrement nord-est.
[8] Ça a d’ailleurs failli… Si j’avais su…
[9] Il s’est finalement arrêté dans le port d’une usine d’aluminium, où, s’il a été autorisé à s’abriter pendant le coup de vent, il n’était pas possible de descendre à terre. Accueillants ces Espagnols, mais business is business, et cet endroit, il est privé.
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