
Bienvenue au cœur de Pérégrinations maritimes d’un ciré jaune sur talons de 12, mon journal de bord depuis quelques années !
Vous êtes éditeur ?TOUTES BONNES VACANCES MÉRITENT DE BONNES GALÈRES
Trois semaines de vacances coupés du monde, c’est court. Ou très long, c’est selon. Nous, on serait bien restés davantage, mais on n’avait désormais plus d’eau à bord. À présent, un petit tour à Saint-Martin s’imposait. Et pourquoi pas les Vierges.
Et parce qu’en mer, rien n’est jamais acquis, on a bien vite compris que nos quelques semaines de vacances n’allaient pas se terminer de manière idyllique.
Ça a commencé à notre départ d’Antigua. On arrivait de Barbuda, et, cette fois-ci, on avait bien pigé que la clearance de départ, fallait pas déconner avec ça. Nous voilà donc mouillés à Saint John’s, dans le fin fond du port commercial (mais aussi capitale) d’Antigua, prêts à effectuer notre clearance de départ afin d’être bien accueillis la prochaine fois. Sauf que.
Sauf que pas un chat dans le quartier.
Après moult discussions, nous apprenons que nous sommes Vendredi saint. Et le Vendredi saint, la clearance, c’est fermé. Autant vous dire que le jeudi, c’était pareil. Et que le lundi de Pâques, ce sera pire. Y a plus qu’à espérer qu’ils fassent une trêve pour le week-end… Et puis, quitte à devoir patienter, autant le faire dans un environnement un peu plus plaisant. On lève donc l’ancre et on décolle pour Jolly Harbour, qui deviendra finalement notre lieu de clearance favori chez les Anglais, et où nous pourrons effectuer ladite clearance le lendemain, samedi pré-Pâques[1].
Clearance acquittée, nous pouvons donc lever l’ancre pour Saint-Martin, où nous effectuons un pseudopèlerinage, puisque, la dernière fois que Saint-Martin nous a vus, c’était en 2016. Nous y étions restés bloqués presque deux mois, en attente d’un inverseur[2] pour le moteur, ledit inverseur étant bien arrivé sur zone depuis la métropole, mais le mécano avait certainement dû le paumer dans son garage…
Saint-Martin, donc, on connaît bien, d’autant plus que le captain y a également vécu cinq ans à terre quelques années plus tôt. On fait donc notre tour de l’île réglementaire, et c’est un paysage de désolation qui s’offre à nous, digne de pays sous-développés. Le cyclone Irma, en 2017, y est pour beaucoup. On retrouve à Grand-Case Alex le boulanger, notre copain de 2016, qui s’était improvisé livreur de viennoiseries pour les bateaux. Il est toujours là… Doté à présent d’un Captain 200[3], il ne livre plus les croissants, mais la mer est devenue son gagne-pain…
Nous, notre tirelire, elle commence à diminuer depuis qu’on est en vacances. Il ne faudrait pas qu’on rencontre un quelconque souci matériel. De toute façon, c’est bien connu, la panne, en bateau, ce n’est jamais au bon moment.
Sauf que.
Sauf qu’un beau jour à l’anse Marcel, alors que l’on s’apprêtait à faire notre clearance de sortie pour la Guadeloupe (on a vite zappé les Vierges de notre programme quand on a su le prix des bouées obligatoires), le matelas gonflable d’une touriste s’envole de la plage. Nous, déjà en annexe, bons samaritains, on file vers le large pour le récupérer. Le plastique, dans la mer, on n’aime pas trop… Ni une ni deux, le matelas est à bord, on peut le rendre à sa propriétaire. Sauf que.
Sauf que ce petit détour nous a presque fait sortir de la baie, et que sur le chemin du retour, y a comme une odeur… « C’est marrant, dis-je à mon captain, ça sent le barbecue. » Sauf que l’odeur ne venait pas de la plage, et que le barbecue, il était bien dans notre hors-bord, mais ça, on l’a su quand il s’est arrêté d’un coup, alors que nous étions désormais proches du bord. Turbine de refroidissement. Ça, on ne le savait pas encore, mais ce qui est sûr, c’est qu’on n’avait plus de moteur, du tout. Et qu’on avait prévu de redescendre vers les îles du sud. Qu’à cela ne tienne, on verrait ça en Guadeloupe.
Petit détour par Saint-Barth, l’anse Colombier puis Gustavia, avant de faire une pause à Saint-Kitts, le pire mouillage que l’on ait jamais connu. La houle se met en travers du bateau, on se croirait dans la baie de La Baule[4]. 6 heures du mat’, on décolle de cet endroit infernal. En face de Montserrat, tout à coup, plus de barre à roue[5].
Quand ça veut pas, ça veut pas.
Pas d’inquiétude, le captain va ressortir la barre franche et on va brancher Victor dessus (vous vous souvenez ? le régulateur !), va bien falloir que ça fasse le job. On réparera — ça aussi — en Guadeloupe. Faudra juste trouver du nouveau câble pour de nouvelles drosses[6]. Juste… Sous barre franche, impossible en revanche d’envisager de rentrer dans Pointe-à-Pitre, barrer dix tonnes n’est pas chose si aisée. On fera donc un stop à Rivière-Sens, sous le vent[7], et on avisera.
Le lendemain, on mouille donc à l’extérieur de la marina de Rivière-Sens, et on décide d’aller boire un coup au bistrot, ça va nous détendre. À la rame, bien sûr. Ce qu’on n’avait pas prévu, c’étaient les 30 nœuds deux heures plus tard. Et on est toujours à la rame, rapport au hors-bord qui n’a pas encore trouvé son mécano…
Imaginez un couple (amoureux, bien sûr) en train de pagayer face au vent par 30 nœuds dans la nuit noire pour regagner son bateau. Je vous laisse visualiser la scène, moi je m’en rappelle encore…
On passera finalement une semaine au port, allégeant notre porte-monnaie pour des drosses neuves et des pièces pour le Johnson, le moteur de l’annexe goût barbecue. Malgré tout, on a réussi à tout réparer en une semaine, et, croyez-moi, aux Antilles, une semaine c’est vraiment du rapide…
Rivière-Sens, à Basse-Terre, est loin des clichés antillais : la vie y est douce, les gens sont serviables, ils ont le sourire. Sans aucun doute, nous reviendrons.
Et puis, alors que nous allions repartir, nous apercevons par hasard une annexe bien chargée passer derrière le bateau. Un couple avec deux blondinettes à bord, le tout ne passe pas inaperçu. On se pose des questions : ne serait-ce pas Stéphane, de La Turballe, le « concurrent » du captain ? Un coup d’œil à l’extérieur du port nous le confirme : la tête de mât rose de son bateau dissipe tout soupçon. Drôle de coïncidence de les croiser ici, à Rivière-Sens, où nous n’aurions jamais dû nous arrêter. En revanche, nous, on avait prévu de repartir. Rendez-vous est donc pris dans la baie du Marigot, aux Saintes, et la soirée qui arrive s’annonce festive. En effet, prendre l’apéro avec notre voisin de ponton de La Turballe, aux Saintes, en Guadeloupe, c’est pas tous les jours que ça arrive. Il faut dire qu’avec le captain, on a besoin de relâcher la pression. Les dix derniers jours ont été sous tension, et on est heureux de partager ce moment avec Steph et Solène, de Mahana Sailing. Eux font un tour de l’Atlantique comme nous en 2015, à la différence qu’ils ont trois enfants à bord : l’aîné, douze ans, et les jumelles, quinze mois. Et les jumelles, elles, on peut dire que c’est no pression. Comme les parents, d’ailleurs. Alors que les adultes profitent de l’apéro, des frites maison et de l’entrecôte, je découvre dans une cabine de Mahana les deux poulettes en train de se partager un paquet de clopes, en toute détente. Éteintes, bien sûr. Non, elles sont seulement en train de grignoter un paquet de cigarettes comme on boulotterait un paquet de cacahuètes. Et il paraît que ce n’est pas la première fois. Loin de moi l’idée de dénoncer des parents imparfaits. Je garde d’ailleurs un souvenir impérissable de ce moment… Je constate seulement que la vie à bord avec des enfants n’est pas de tout repos, et, nous le verrons tout au long des rencontres que nous ferons, il faut une grande volonté mais aussi une bonne dose de je-m’en-foustisme pour concilier vie de famille et voyage au long cours. En tout cas, clopes ou pas, cette soirée fut une bouffée d’oxygène (sans mauvais jeu de mots) pour les deux équipages, et le début d’une longue amitié. Point de vue des intéressés, quelques années plus tard : « La baignade était bonne et on a eu du mal à coucher les filles. On avait bien ri en tout cas. »
Rien à ajouter, tout est dit.
Rendez-vous très vite sur l’Océan, les copains.
[1] Note ajoutée en 2022 : se souvenir qu’en plus des jours précédant le lundi de Pâques, le premier lundi de mai est également férié à Antigua, puisque c’est la fête du Travail. La date n’est donc pas fixe, et on a pu expérimenter la chose l’année suivante…
[2] Équivalent de la boîte de vitesse sur une voiture, qui comporte trois positions : avant, arrière, neutre. Le remplacer en 2016 n’avait pas réglé tous nos problèmes. En effet, un an plus tard, à La Baule, avant de changer définitivement le moteur, nous rentrâmes des Évens à l’heure de l’apéro (île à 4 km au sud du fond de la baie) en marche arrière, car la marche avant demeurait capricieuse…
[3] Formation maritime pour accéder au titre de skipper. Tout l’opposé du moniteur. Le skipper fait et promène les gens, quand le moniteur fait faire.
[4] Et croyez-moi, plus belle plage d’Europe ou pas, le plan d’eau de la baie de La Baule, il est raide… Quand le bateau se met en travers de la houle, mieux vaut ne pas avoir trop de choses qui traînent dans le bateau, car ça bouge fort…
[5] En d’autres termes, notre volant. La barre d’un bateau (à roue, en forme de roue, comme son nom l’indique) ou franche (tige de bois ou de métal reliée directement au safran) permet de diriger le bateau.
[6] Sur IO, les drosses (il y en a deux) sont les câbles commandant le gouvernail à partir de la barre à roue.
[7] L’opposé de la côte au vent, vu plus haut. Si t’as bien compris, tu devrais déterminer sur quelle côte nous avons décidé d’aller…
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