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Journal de bord

Chapitre 19

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WELCOME BACK IN QUARANTINE

IO a senti que la Full Moon party numéro 3, à l’endroit même du confinement numéro 1, c’était jeudi prochain… Alors fallait pas traîner. Et pendant que les premiers concurrents du Vendée[1] avalent leurs derniers milles avant l’arrivée, nous, on survole les 140 milles qui nous séparent de notre lieu de confinement numéro 3. Oui, on a un peu anticipé la chose, mais la loi des sept jours de quarantaine pour des clients arrivant aux Antilles pour une semaine, ça restreint un peu les possibilités d’école de croisière… Alors on est partis s’autoconfiner. Encore. Chez les English. Again. Un (nouveau) bâtonnet dans le nez et une clearance plus tard, cap au nord. Météo du départ ? Rafales à 30 dans le canal, pourquoi ? Bon, on balance du foc et deux ris dans la GV et on serre les fesses. Après tout, c’est pas pire que le cap Horn. Quoique… Maintenant qu’on a (enfin) acheté un pilote électrique (on l’a appelé Hugo) pour seconder Victor (le régulateur) sous le vent des îles, on devrait être tranquilles[2]. Sauf que. 

Sauf qu’il y avait bien 30 nœuds dans le canal, tout comme sous le vent de la Dominique. On a encore été à deux doigts de sortir le tourmentin. Mais coincé sous les douze ailes de kite dans la cabine avant, ça ne nous arrangeait pas bien. Alors, on s’est fait rincer. IO, trop pressé d’arriver à Barbuda, a volé plus vite que Mary Poppins. Surtoilés complet (c’est mal), 6,4 nœuds sur onze heures, à peine le temps de roupiller une heure dans l’aprèm’ qu’on était déjà dans le canal des Saintes. Hallucinant. Le vieux tas de ferraille en ferait pâlir plus d’un. Finalement, c’est pas l’âge qui compte, pas vrai ? Sous le vent de la Guadeloupe, ça s’est un peu compliqué, il a fallu ranger le foc et sortir Hugo pour soulager Victor. (C’est bon, tu l’as ?)

Et là, c’est tranquillement assis dans le cockpit à mater notre nouveau copilote qu’on attend de passer la pointe nord de la Guadeloupe. Niveau bassine, rien à signaler. Ça m’arrange pas bien pour le régime post-Christmas, post-Nouvel An, post-stagiaires et post-galette des rois, régime que j’avais prévu express sur quarante-huit heures de mer ; en général, c’est assez efficace dans la baston. Mais bon, le bain quotidien à Spanish Point devrait faire l’affaire…

Avec une telle moyenne, on arrivera à Antigua pile-poil pour la prise de température de 9 heures du mat’. Vu qu’on avait prévu trente-six heures (rapport aux soixante-deux heures du trajet retour en mai si tu te rappelles bien), on va même pouvoir pioncer un peu en arrivant. Et à coup (presque) sûr, la Spanish Point Full Moon Party numéro 3 n’aura même pas besoin d’être reportée au lendemain… Mais bon, tant que t’as pas les deux pieds sur la plage…

Vingt-sept heures plus tard (si on n’avait pas fait cette petite pause moteur, on aurait explosé le record cependant difficilement égalable de 170 milles en vingt-quatre heures au départ de la transat’ en 2018), nous voilà à Saint John’s. En théorie, donc, on aurait pu voir le doc’ ce matin pour la visite médicale, mais le captain ayant prolongé sa sieste, notre admission chez les Rosbifs est reportée à demain. On est toujours dans les temps, la troisième Full Moon Party de Spanish Point aura bien lieu : un possible re-reconfinement, ça se fête quand même !

Jeudi matin, 10 heures, nous voilà fin prêts pour la prise de température. Vu que l’on connaît désormais l’endroit comme notre poche, on se rend au health office ; t’inquiète, une prise de température, un petit papier à remplir, dans un quart d’heure on est repartis… Sauf que. 

Sauf que ça ne s’est pas vraiment passé comme prévu. Même si l’infirmière et le toubib étaient charmants, et que nos températures respectives avoisinaient celles d’un iceberg réchauffé, ça ne s’est pas fini en cinq minutes, l’histoire. Non. La surprise du jour, à notre grand désarroi, fut : Welcome in your fourteen days of quarantine. Pour ceux qui ne pigent pas bien l’anglais : quatorze jours de quarantaine. À Saint John’s. Dans le port de commerce. Là où l’eau est marron, vaseuse, et où t’entends les sirènes de flics tourner toute la nuit sur la quatre voies qui entoure le mouillage. Donc, en effet, NON. 

That was not the plan. Le truc bizarre, c’est que nos copains arrivés trois jours plus tôt à English Harbour, on ne leur a pas parlé de quarantaine. Le toubib veut un nom, hors de question, je suis pas une balance, moi ! Bon, la chose s’annonçait donc plutôt mal. Après une heure montre en main de palabres et de négociations en tous genres, on a bien compris qu’il nous fallait un « agent », un mec qui se porte garant pour nous à l’endroit où nous serons en quarantaine. Et comme Saint John’s ne nous fait pas rêver, on continue à négocier. Quarantaine, oui, mais sportive, s’il vous plaît : nous, on veut du kite. On explique qu’on était en partance pour Barbuda, l’endroit où l’on a déjà été confinés deux mois en mai, qu’on ne descendra pas à terre, tout ça tout ça. Et là, illumination. J’ai dans mon téléphone le numéro de Matthew John, le douanier masqué de Barbuda qui prenait 60 % du tarif quand il faisait des livraisons en mai, ça vaut le coup de tenter… 

And if Matthew John was our personal agent?

Ah, ils n’ont pas dit non. J’insiste, je leur tends mon téléphone, allez-y, appelez-le ! 

Matthew John, c’est un peu comme un copain, le douanier qui te suit sur Instagram, ça veut tout dire… Il ne répond pas. Je l’appelle moi-même. Idem. Nous voilà un peu dépités, jusqu’à ce que MJ rappelle notre toubib cinq minutes plus tard. En deux minutes, l’histoire est pliée, on a obtenu une dérogation (et on est probablement les seuls) pour passer notre quarantaine (treize jours) à Spanish Point. Seule obligation : envoyer quotidiennement par WhatsApp notre température à l’infirmière de Barbuda, qui a été réquisitionnée pour l’occasion. Ça tombe bien, on vient de racheter un thermomètre, faut croire qu’on avait eu le nez fin. Clearance dans la foulée, et là, dans le bureau de la douane, on prend un coup. La radio en fond sonore te fait bien comprendre que si tu enfreins le couvre-feu — ou ta quarantaine —, c’est 10 000 USD d’amende. Ça fait un peu dictature et troisième Guerre mondiale, mais, à un moment, on en est là. Bref, on oublie la radio, les passeports sont tamponnés, ouste, on s’en va, ce serait dommage qu’ils changent d’avis…

Le problème, c’est que par conséquent on n’a pas fait d’eau. On avait pourtant bien spécifié qu’on était autonomes en flotte (ah oui ?). Le watermaker[3] ? T’inquiète, on en a un (ah oui ? bis). On n’a pas pu tirer de liquide et on n’a pas non plus pu faire les dernières courses de « première nécessité ». Aucun problème, le plus important, c’est qu’il est midi et que si on veut rentrer dans Spanish Point avant la nuit, va falloir se bouger. 

On relève donc notre mouillage et ses huit kilos de vase en cadeau, et on file direct vers Barbuda, 25 milles au nord-est. Le vent était plutôt light, mais ça l’a fait, Victor (toujours lui) qui a été entièrement rénové joue parfaitement son rôle, et, un peu avant 18 heures, nous voilà à l’entrée du lagon. Une demi-heure plus tard, c’était râpé[4], mais Spanish Point, nous, on connaît, et les patates sont toujours à la même place. De loin, on commence à compter les mâts. Depuis quand y a quinze bateaux à Spanish Point ? Ah oui, l’année dernière, c’était déjà le cas… Va falloir vraisemblablement s’y habituer. Et alors que la nuit commence à tomber, on va leur montrer à qui ils ont affaire. IO file au milieu de la quinzaine de navires et va planter sa pioche à l’endroit même où nous avons passé deux mois confinés en avril dernier. Au vent de tous les bateaux. Un peu comme si on était les chefs du plan d’eau, quoi. Alors, on joue le jeu, et même si le feu à terre nous fait bien envie, on va rester tranquillement à l’intérieur du bateau une dizaine de jours sans trop se faire repérer. C’était sans compter les retrouvailles avec nos Anglais préférés, les clients qui se bousculent pour les cours de kitesurf, les apéros de nuit avec les voisins, les sessions de glisse interminables grâce à un alizé établi depuis plus de deux mois. Heureusement que l’on envoie notre température quotidienne à la nurse de Barbuda… Et la bonne nouvelle, c’est qu’étant arrivés à Barbuda pour une Full Moon Party qu’on a finalement passée à bord, on a dix jours pour organiser notre End of Quarantine Beach Party. Et celle-là, on ne l’a pas ratée… 


[1] Le Vendée Globe est la plus grande course à la voile autour du monde en solitaire, sans escale ni assistance. Faut être un peu taré pour se lancer là-dedans… Yannick Bestaven est arrivé premier de l’édition 2020-2021 le 28 janvier 2021, après 80 jours de course.

[2] La différence entre Victor et Hugo, c’est que l’un travaille grâce au vent, l’autre grâce à un moteur électrique. Quand y a plus de vent, l’un prend le relais sur l’autre. Sous le vent des îles, en général sans vent, c’est à Hugo de se rendre utile.

[3] Le watermaker est le nom anglais du dessalinisateur. Pas le choix, si je parle français aux douaniers, ils ne comprennent pas.

[4] Aux Antilles, été comme hiver, à 18 heures, il fait nuit…

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