
Bienvenue au cœur de Pérégrinations maritimes d’un ciré jaune sur talons de 12, mon journal de bord depuis quelques années !
Vous êtes éditeur ?24 NOVEMBRE 2018 – ROUTE DU RHUM, STEP 2 : WHAT THE HELL AM I DOING HERE ? (AGAIN)
Ô sainte Mer, toi qui nous fais glisser, gîter, avancer, balancer, toi qui nous épuises, nous rinces, nous abîmes, toi qui nous épies 24 h/24 par en dessous, t’en as pas marre, nan ? Faire le choix d’aller se jeter dans la gueule du loup pour ensuite choper du nord-ouest, c’était un peu osé, je te l’accorde. Mais avec 140 milles parcourus le premier jour avant la dépression, (6 nœuds de moyenne, si tu fais le calcul, un record), on a cru que ce serait pas si dur. Et puis, on l’a prise de pleine face. Une fois. Deux fois. Comme prévu. Mais vois-tu, sainte Mer, les 50 nœuds, c’était pas trop le problème. Avec le string à l’avant — le tourmentin, dont certains n’ont même jamais vu la couleur sur leur bateau —, le vent c’est pas trop le souci. Le souci, en l’occurrence, mon problème, donc, c’est toi, t’sais. Sournoise, impitoyable, épuisante, tu voudrais pas laisser mon estomac en paix, mille sabords ? Tu crois que c’est drôle de jouer à Space Mountain en plein milieu de l’Atlantique un 20 novembre ? « Vous auriez dû attendre, tout ça tout ça… », tu te dis ? Attendre un mois de plus au Portugal, c’était pas trop le programme, vois-tu. Les Antilles, c’est un peu plus à l’ouest. Alors on a choisi. Et on sait pourquoi on est là. Alors, steupl’, sois mignonne, fais un effort. L’autoroute du Sud on l’a bien choppée, le nord-ouest était bien là, mais c’était pas indiqué sur Bison Futé que l’autoroute était en travaux. Tu te rends compte, ô sainte Mer, qu’on a dû ralentir IO parce que 6 nœuds de moyenne c’est trop pour lui ? Il n’est pas habitué à faire des sauts de cabri dans tous les sens, c’est plus de son âge, enfin ! Ralentir IO, la belle image… Et si on avait pu vivre correctement, ça passait encore, mais perdre le frigo — plein, bien sûr, rapport au niveau de gaz qui a dû avoir un peu de mal à se stabiliser —, ça a été dur. C’est quand même con d’avoir une gazinière neuve et un frigo à moitié mort.
Merci de m’avoir entendue, ô sainte Mer, on est à l’aube du quatrième jour et t’as décidé d’aller dormir, enfin. Quatre jours de baston t’ont épuisée, toi aussi. Le calme après la tempête, c’est comme ça que l’on dit, non ? Sauf que pour le calme, la prochaine fois, si tu pouvais te mettre d’accord avec le vent et qu’il ne se mette pas en grève en même temps que toi, ça nous arrangerait. Avoir investi trois bras dans un système météo à bord pour que le vent ne soit pas là, ça nous rend dingues, t’sais. La pétole, pire que la baston : c’est acté.
T’imagines, sans même prendre de champi, c’était l’hallu quand on voyait deux moutons[1] sur l’Océan, ça nous rendait même heureux…
Et puis, à la fin de cette semaine placée sous le signe de MétéIO France, on s’est tapé des grains. Non, pas des grains de riz, ça c’est fini, la bassine c’est du passé, des grains, des vrais grains comme tu rencontres en mer. Alors là, sainte Mer, ils t’ont bien calmée, ceux-là. Tu te rends compte qu’après Il faut sauver Willy, c’est Willy et sa bande en personne qui sont venus nous prévenir de nous sauver… Reconnaissant, ce bon vieux Willy nous a escortés à l’entrée du premier déluge. Genre: « Allez-y, les gars, nous on vous laisse là… » La nature est ainsi faite. Toi, sainte Mer, tu t’es vu anéantir sous des trombes de flotte par un vent qui grimpait à 40 nœuds en moins de trois minutes alors qu’on était en train de faire sécher les culottes sur le bastingage : là, tu l’as bien bouclé. Ratatinée t’étais ! C’était beau vu d’en haut, si tu savais, mais bon sang que c’était dur. Humide. Un peu borderline. Y a (presque) pas eu de casse, mais franchement c’est un beau bazar ce qu’il se passe entre toi et le vent cette année… Je sais pas où vous en êtes en cette veille de week-end, mais faites un effort, parce que ça met le captain un peu de mauvaise humeur quand il sort à poil dans sa salopette Guy Cotten pour aller virer le tangon[2] à 2 heures du mat’ par 40 nœuds.
Je devais être un peu fatiguée parce que, pour nous réconforter, j’ai rien trouvé de mieux que de faire un gâteau au yaourt, à 3 heures du mat’, avec l’huile de friteuse plutôt que l’huile de tournesol. J’ai dû confondre les bouteilles. Le gâteau est par conséquent passé par-dessus bord et j’en ai encore mal au bide rien qu’en repensant à l’odeur.
Veille de l’arrivée, pour finir en beauté les 80 milles qui restent avant de se taper un nouveau coup d’ouest, une fois n’est pas coutume, on termine cette somptueuse traversée par une nuit de… moteur. Joie dans les cœurs.
Et Tenerife la belle est apparue. Avec de la neige au sommet et mes tongs aux pieds.
Note pour plus tard : le Stugeron, y a definitely pas mieux… La bassine est quasi vide, et, tonnerre de Brest, ce que j’ai bien dormi…
Note 2 : les grains, c’est un peu comme les pochettes surprises de la Française des Jeux, tu sais jamais sur quoi tu vas tomber.
Sur ce, on va se coucher, histoire d’être en forme pour la colonie de vacances qui nous attend. Route du Rhum, last step, ça continue.
[1] Non, je n’ai pas fumé la moquette, je parle bien des moutons : pas ceux que tu comptes la nuit, mais ceux que tu vois lorsque le vent fait écumer la crête des vagues. Quand tu vois du blanc sur du bleu, donc, c’est que ça commence à s’agiter dans la bergerie.
[2] Un tangon est un peu comme une deuxième bôme (en tout cas le nôtre fait la même taille que la bôme, je l’appelle la « machine de guerre »). C’est un espar qui sert à maintenir écartée la voile d’avant : souvent utilisé pour le spinnaker – voile de 100 m2 faitepour le vent arrière –, chez nous on s’en sert aussi pour le génois – la voile d’avant principale, de 45 m2.
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