
Bienvenue au cœur de Pérégrinations maritimes d’un ciré jaune sur talons de 12, mon journal de bord depuis quelques années !
Vous êtes éditeur ?DÉPRESSION, INFARCTUS ET LUMBAGO, L’ANNÉE COMMENÇAIT BIEN…
Voilà quelques semaines que nous sommes arrivés sous les cocotiers. Entre eaux translucides, plongées, kitesurf, boulot et tourisme maritime, on n’a pas arrêté. Entendez par là : on est radicalement sous l’eau. Mais on a aussi retrouvé les copains, et ça fait du bien.
Loin de la neige et des gilets jaunes, on a reçu Sixtine à bord en janvier, qui a passé une semaine au sein de Breizh Croisière (rapport à la météo du moment, plutôt digne d’un mois de décembre en Bretagne que des Caraïbes en plein hiver).
Bravo à elle pour ses performances de pêcheuse. Entre tentative de pêche au harpon, perte du harpon, recherche du harpon, retour du harpon, toujours de bonne humeur, Sixtine nous a épuisés. Grâce à sa pêche (miraculeuse, c’est le mot) du jour, un poisson de 7 cm pour trois, elle a vérifié l’adage : « La persévérance est à la réussite ce que le beurre salé est à la galette bretonne. » En tout cas, on ne risquait pas de choper la ciguatera[1]…
Les Antilles, le soleil, la chaleur, en revanche, elle les attend toujours. Des années plus tard, nous reparlons encore de ce bord pour Marie-Galante, sous (je cite Sixtine) « un soleil presque invisible et un épais nuage gris », elle à la barre, moi au reportage photo et le captain à l’atelier crêpes au sucre par 45 degrés de gîte. En réalité, on a passé trois heures sous 30 nœuds constants (la dépression a duré trois jours), les cirés jaunes étaient de sortie, les essuie-glace sur les lunettes de soleil aussi. Au moins, elle est rentrée en métropole sans coups de soleil…
Après ce séjour humide et venté, les semaines ont passé et nous voilà de nouveau au sud de l’arc antillais. De la Martinique aux Grenadines en passant par Sainte-Lucie, IO a failli passer sur le billard, rapport au filet de pêche coincé dans l’arbre d’hélice[2]. Il a aussi failli perdre son moteur vélique, car une grand-voile coupée en deux, ça marche vachement moins bien…
Il est temps à présent de remonter en Guadeloupe, car un nouveau stagiaire nous attend pour une semaine à bord d’IO. Avant cela, dernier petit tour baie des Anglais, sur la côte au vent de Martinique, pour quelques jours de kite avant notre départ.
L’alizé est bien établi, le spot est idéal — il demeurera dans notre top 3 des spots de kite tout le long de nos années passées dans les Petites Antilles —, on se croirait presque en vacances. Sauf que.
Sauf que sur un mauvais saut, le captain s’est fait mal. (Eh oui, on n’est plus tout jeune par ici…) Une sombre histoire de harnais qui lui serait rentré dans les côtes… Bref, il est peut-être judicieux de faire une pause. Après vingt-quatre heures de repos, notre kiteur fou redémarre en trombe, sauf que…
Sauf qu’il revient au bateau en hurlant de douleur. Il a mal au côté gauche.
Sauf que.
Sauf que quinze mois plus tôt, notre super copain Mika (cœur sur toi) nous a quittés, sur un AVC, et que c’est encore dans toutes les têtes. En l’occurrence dans les nôtres.
Le captain a désormais mal sous la poitrine. Et il nous faut à présent quitter la Martinique pour vingt-quatre heures de nav’. Allongé dans le carré[3], le captain donne ses ordres. Moi, à la barre, faut l’avouer, je me pisse dessus. S’il décide d’abdiquer entre la Martinique et la Guadeloupe, ça ne va pas être facile de déterminer le lieu du décès… Trêve de plaisanterie, mon captain, lui, ça ne le fait plus rire. Du tout. Il a même décidé d’un coup de tout arrêter. TOUT. La clope, l’alcool, le café, le beurre et le chocolat. Autant vous dire qu’il est bien relou depuis hier. La nav’ jusqu’à Marie-Galante, première étape de notre transfert, risque donc de ne pas être de tout repos. Les questions se bousculent dans nos têtes. Et s’il avait vraiment fait un AVC ? Avoir mal au côté gauche, c’est un signe, non ? Cela arrive de plus en plus jeune, rien d’étonnant. Entre-temps, il est bon de préciser que dans la même baie des Anglais, en planche à voile, par 25 nœuds, je me suis moi-même légèrement froissé un truc. Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, mais trois jours plus tard, c’est bien acté. Froissé quoi ? J’en sais rien, ce que je sais, c’est que je marche à 90 degrés, car j’ai le dos en compote et toujours pas de médecin sous la main. Heureusement, nos copains Cyril et Constance (de La P’tite Fougère, rencontrés aux Açores en 2016) ne sont jamais loin par téléphone satellite, et, grâce aux conseils de nos deux ostéos, je me retrouve, entre posture de l’enfant et celle du chat, à faire mes étirements dans la cabine arrière pour soulager le mal. Entre l’un allongé avec une suspicion d’AVC et l’autre qui ne peut pas se redresser, l’équipage d’IO est au top du top. Quand on se rappelle qu’on reçoit un stagiaire dans moins de trois jours, on commence à baliser.
L’arrivée à Marie-Galette se fait tant bien que mal, mais on y est. Il serait donc judicieux d’aller consulter. Toi d’abord, captain, moi je peux attendre. Ce dernier, amaigri et légèrement flippé, se rend donc chez le médecin en traînant des pieds, redoutant le verdict de la consultation. Et croyez-le ou non, alors qu’il avait renoncé à sa vie de débauche (entre la clope et le beurre salé, c’était pire que la prison…) depuis quelques jours, le verdict allait l’étonner, et détonner. Le voilà exposant les faits au toubib, qui, loin d’être inquiet, paraît-il, l’ausculte en prenant son temps. On est quand même à Marie-Galante, faudrait pas aller trop vite en besogne. Notre captain, persuadé d’avoir fait un AVC, se retrouve finalement avec… une côte fêlée ! Plus de peur que de mal. Enfin, tout est relatif pour le mal (les mecs sont de vraies chochottes). Mais nous voilà soulagés ; un peu de repos, et tout ça sera oublié. Oubliées, aussi, les bonnes résolutions. Bonjour café, bonjour beurre salé, vous m’avez manqué.
Notre captain est désormais quasiment réparé. Quant à moi, un petit coup d’anti-inflammatoires, associés aux étirements existants, et cela devrait rentrer dans l’ordre. C’est bien rentré dans l’ordre. Un mois plus tard. Autant vous dire que le tour de Guadeloupe avec Jean-Yves, notre nouveau stagiaire, n’a pas été de tout repos pour mon lumbago…
Jean-Yves, parlons-en ! C’est un de nos premiers stagiaires dans les Caraïbes. Celui qui, cinq ans plus tard, est devenu un véritable copain, a fait appel à nous, car, désireux de s’installer en Guadeloupe et d’y avoir son propre bateau, sa femme lui a imposé un stage sur habitable pour tâter le terrain. Il avait pourtant déjà un bateau en métropole… Autodidacte, Jean-Yves avait développé un style très personnel de la navigation. Autrement dit, il ne réfléchissait qu’une fois qu’il était les deux pieds dans la mouise. Le nœud de chaise ? Connaît pas. Cela nous a valu une franche partie de rigolade quand, au moment d’attacher l’annexe sur une bouée de la réserve Cousteau, à Malendure, il a réfléchi plus de quarante-cinq minutes à comment faire un nœud de chaise pour ne pas perdre l’annexe. Il devait avoir un peu la pression, car il n’y est jamais parvenu. Nous, avec le captain, on a eu le temps de faire quatre fois le tour de la réserve avant de rentrer à l’annexe et de le trouver, en nage, bloqué sur son nœud de chaise…
Au-delà du voileux en apprentissage constant, Jean-Yves a surtout le cœur (et les calories) sur la main. Nous l’avons constaté à son arrivée quand, à l’ouverture de sa valise, il a sorti foie gras, bons vins, rillettes et barres de chocolat. Il nous a confié que sa femme craignait qu’il ne meure de faim, nous on pense plutôt que c’était lui qui flippait. Et il avait eu le nez fin, car, tour de reins oblige, la cuisine, cette semaine-là, j’ai un peu lâché l’affaire… Et nous, on a bien vite compris que notre invité ne savait même pas faire cuire un œuf quand il nous a annoncé : « Moi, les jours où je dois cuisiner, pas de problème, on filera au resto. » Celle-là, on ne nous l’avait jamais faite. On a finalement découvert trois restos en Guadeloupe. Mais pas trois restos lambdas. Non, Jean-Yves connaissant la Guadeloupe comme sa poche, car y venant depuis vingt ans, on a découvert trois TRÈS BONS restos.
L’école de croisière qui va au resto un jour sur deux, c’était bien la première et la dernière fois. Merci, Jean-Yves.
(Cinq ans plus tard, Jean-Yves, désormais installé aux Saintes où il tient un gîte avec sa femme, continue à régaler nos papilles en nous faisant découvrir les bonnes adresses locales…)
[1] La ciguatera est une véritable saloperie. C’est une intoxication alimentaire liée à la consommation de poissons contaminés par une toxine qu’ils choppent lorsqu’ils mangent du corail mort. En gros. Et vu le nombre de cyclones qu’il y a eu aux Antilles, autant vous dire que du corail mort, y en a un paquet. La bonne nouvelle, c’est que cette toxine n’est présente que chez les poissons de récif (le thon et la daurade du large, no problemo, ça nous arrange) et – miracle ou pur hasard, j’ai pas la réponse – la langouste ne sera jamais vectrice de ciguatera. Pourquoi ? J’en sais rien, je suis pas biologiste marin. Ou alors c’est parce qu’on l’appelle le « cochon de la mer » et qu’un cochon ne peut pas choper la ciguatera, ça n’aurait aucun sens…
[2] On ne parle pas d’un chêne ni d’un pommier, mais il s’agit d’un grand tube, d’une pièce mécanique, reliant l’hélice au moteur. Si on prend un truc dedans, c’est la loose, voire pire. Cela rend le moteur inutilisable.
[3] Le carré d’un bateau, c’est son salon, sa pièce à vivre. Le lieu où, en nav’, on passe 20 heures sur 24 allongé sur un canap’.
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