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Journal de bord

Chapitre 7

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13 DÉCEMBRE 2017 – LE JOUR OÙ J’AURAIS PU ME FAIRE EMPALER PAR UN ATCH 35, MAIS PAS LE NÔTRE…

L’histoire est drôle, elle aurait pu être dramatique.

Après les six jours de mer et la baston précédemment évoqués, nous arrivions au petit matin à Porto Santo, première île de l’archipel de Madère. Le moral remontait à la vue de ce caillou au lever du jour : ça y est, on allait se poser (façon de parler, quoique…).

Six jours, une broutille. Mais dans les conditions hivernales, six jours, c’est long. Très long. Ça balance, ça cogne, y a un jacuzzi dans le cockpit, une douche dans toutes les manches à air, tu pues, même en te tenant t’arrives pas à faire un mètre, je te raconte pas le temps que tu mets pour aller faire pipi… Bref, on était (enfin) arrivés.

Oui, sauf que tant que t’as pas les deux pieds sur le ponton, t’es pas arrivé…

6 heures du mat’, j’allume mon téléphone, ça capte. Un texto, deux textos, un message sur Facebook. Tous provenant de ceux qui nous attendaient à Porto Santo – l’équipage du même bateau que le nôtre – et qui nous avaient contactés via notre site Internet ! Pur hasard, on était dans la même partie du monde à ce moment-là, donc ce nouvel Atch 351, chose rare, on ne voulait pas le rater…

Ils nous attendaient deux jours plus tôt, et ils savaient dans quelle météo IO s’était fourgué. Ils étaient inquiets, mais au milieu de la baston, entre le Portugal et Madère, j’ai pas trop eu le temps d’envoyer des textos, t’sais…

Nous, heureux de savoir que des gens nous attendaient au ponton, ça nous a fait aller vachement plus vite… Des gens, de la vie, quoi ! Royale donc, l’arrivée qui s’annonçait.

Le jour se lève, la déferlante dans le cockpit te rappelle que la mer gagne toujours, même à un mille du port.

On est trempés, mais arrivés, ou presque. 

L’entrée du port se profile devant nous. 

On remballe le tout, on avait prévu le coup dans la nuit et démarré le moteur, comme ça, juste pour voir… au cas où il n’aurait pas eu envie de démarrer au bon moment. On sait jamais, paraît qu’il en fait qu’à sa tête ce moteur toujours en mayonnaise…

On était heureux. On imaginait la douche chaude, le steak-frites, le bateau qui ne bouge plus… On l’avoue : naviguer en plein mois de décembre, c’est une hérésie… mais c’est les vacances !

Les deux bouées du port sont de chaque côté d’IO : Porto Santo, nous voilà ! Sauf que… Wait for it

Le captain reprend la barre pour l’arrivée, je mets les deux pare-bat’2 à tribord, on voit du monde qui attend sur le ponton, on est les rois du monde ! 

Eux, ils ne le savent pas encore, mais ils ne vont pas être déçus… 

Le moteur tourne comme une horloge, l’arrivée à 50 m, c’est dans la poche, y a de l’espace, on va se mettre dans le petit coin, là… Y a de l’air encore, si j’avais eu les cheveux propres, ils auraient été secs en douze secondes.

Je récupère à l’avant l’aussière3 que j’amarre au taquet bâbord4, c’était la consigne. Ok, captain. « Mais, captain, c’est bon, attends deux minutes, j’suis pas prête ! Elle me saoule ta voile posée sur le pont, j’dois passer en dessous, ton taquet il est déjà plein ! Attends encore un peu, j’y suis presque. » Mais… pourquoi il ralentit pas ? 

Pas le temps de lever le nez de mon taquet sous la voile, le moteur était à fond, un son digne d’un concert de feu Johnny, boum, escalade du ponton, et face à face avec Dawasyr, le Atch 35 des voisins. 

Si je m’étais relevée plus tôt, je m’empalais le bout-dehors5 d’en face… dans la face. Ça, ç’aurait été la classe.

Oui, si tu te poses la question, le captain a accéléré, accéléré, accéléré… en marche avant. La marche arrière6 ne passait pas (ça, c’est ce qu’on a dit à tout le monde, en réalité le captain s’est un peu emmêlé les pinceaux7). Le vent nous a poussés. Le ponton s’est retrouvé en dessous, on aurait pu traverser et ne jamais s’arrêter si la quille8 n’avait pas stoppé. Un dériveur avec la dérive relevée aurait traversé tout droit ! Magique ! Un volontaire pour tester ?

IO a reculé, le ponton s’est remis en forme, le vent nous a repoussés, point mort, on a amarré le bateau. Normal.

Voilà comment s’est réellement passée l’arrivée après six jours de dingue.

Non, tant que tes pieds ne sont pas sur le ponton, tu n’es pas encore arrivé. Il est impératif (facile à dire) de rester concentré jusqu’à la dernière seconde, même si l’on t’attend et que ça fait chaud au cœur. J’dis ça pour le captain, moi, j’étais sur mon nœud de chaise9

Déso, Vidal, le maître de port, qui a certainement failli faire un arrêt cardiaque quand il a vu le bateau accélérer, accélerer, et ne plus s’arrêter. 

Merci à Nicolas, l’heureux propriétaire du bateau qu’IO a voulu embrasser, et qui s’est retrouvé avec du jaune sur le bout-dehors (signature perso d’IO). Pardon d’avoir réveillé les enfants.

Il n’y a pas eu de casse, plus de peinture du balcon avant10 jusqu’à la quille, mais IO c’est du solide. Le ponton aussi.

Voilà, IO est arrivé à Porto Santo. 

La caméra avait encore de la batterie.

Et nous, on se marre toujours autant en regardant le ralenti.


[1] La « race » du bateau, le modèle. IO est un Atch 35 (35 pour le nombre de pieds, la taille). Il s’agissait donc du même modèle qu’IO, il en a été construit soixante-dix dans le monde.

[2] Pare-battage : protection ou – plus classe – défense destinée à protéger les flancs d’un bateau pour l’empêcher de cogner directement contre un autre bateau (dans ce cas-ci, IO étant en acier, ce n’est pas lui qui se ferait mal s’il venait à cogner un bateau moins solide) ou contre un quai (là, ça peut servir, parole d’experte).

[3] Nom stylé pour parler d’un cordage.

[4] Bâbord c’est gauche, tribord c’est droite ; si tu t’en rappelles jamais, pense au t, que l’on trouve à droite et à tribord.

[5] Comme son nom l’indique, morceau (en inox, en aluminium ou en carbone) qui se trouve dehors, sur l’avant, à l’extérieur et dans l’axe du navire, pour installer des voiles d’avant. En gros.

[6] Au moteur, la marche arrière est l’un des seuls moyens d’arrêter ton bateau. Ça le « coupe dans son élan ». Un peu comme un frein à main…

[7] Il est important de préciser que notre poignée des gaz est inversée. La marche avant se fait en position reculée, et la marche arrière est en fait la marche avant… Parfois, on oublie !

[8] Pas celle du bowling, voyons ! Ici on parle de la partie la plus basse du bateau, celle qui est totalement immergée et que tu ne vois qu’en apnée ou sur le chantier. En théorie…

[9] Loin du fauteuil sur lequel tu poses tes fesses, le nœud de chaise est un nœud marin de traction. Si ta voiture est dans un fossé, vaut mieux faire un nœud de chaise pour la sortir, plutôt qu’un nœud de vache que tu couperas au couteau pour le défaire. En revanche, ça ne s’improvise pas, le nœud de chaise, ça s’apprend.

[10] Comme son nom l’indique (c’est pas si difficile, hein, le vocabulaire marin !), le balcon avant est le balcon, la balustrade ou la rambarde que l’on trouve à l’avant du voilier.

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