
Bienvenue au cœur de Pérégrinations maritimes d’un ciré jaune sur talons de 12, mon journal de bord depuis quelques années !
Vous êtes éditeur ?PORTUGAL-PORTO SANTO – LA MINI TRAVERSÉE, POUR UN NOËL AU SOLEIL
IO est parti de Sines (charmant port pétrolier, sans ironie aucune puisque certainement le port le plus propre que l’on ait jamais connu, en un mot, ça vaut le détour) jeudi après avoir regardé la météo trente-sept fois. Le coup de baston était prévu lundi, et on aurait dû l’éviter. Le captain avait (encore) promis. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. C’est comme ça sur IO… Va falloir s’y faire.
Bref, c’était fatigant, usant, humide.
Morale : la pétole et la baston1, même combat, ça te met toujours en retard.
Car non, avec des monstres de houle et 45 nœuds, tu ne te dis pas « Chouette, on va arriver plus tôt », mais « On ralentit comment… ? »
Bilan : 475 milles2, soit cinq jours de calendrier Milka à ouvrir. En théorie. On en a ouvert sept. Sauf que, rapport à la gîte3, c’était un peu mélangé là-dedans, possible que le chocolat du 24 se soit retrouvé à la place de celui du 12… La faute de l’Océan, ça…
Le Stugeron4 a fait son effet. « Trois comprimés par jour », avait dit le pharmacien portugais, en anglais. Eh bien, oui, j’ai délaissé ma bassine pour le gratin dauphinois de Magali avec bœuf made in Sines, les sablés maison à la confiture du Berry, les traditionnelles galettes jambon-œuf-fromage (JOF, pour les initiés) et j’en passe. Jusqu’à quarante-huit heures après le départ, c’est efficace. Après, quand y a plus que le tourmentin5, c’est moins flagrant…
La pétole, c’est pas nouveau, c’est relou. Surtout de nuit en plein rail des cargos6. Alors, une fois que tous ces gentils monuments flottants sont derrière toi, t’affales7 et tu vas te coucher. Dans un vrai lit. Jusqu’à ce que tu calcules de combien de milles tu as reculé… avant… les 50 nœuds, avec la houle de maboule. Non, c’était pas annoncé si vite. Oui, on avait regardé trente-sept fois (au moins) la météo et on avait dit : « Cette fois-ci, ce sera tranquille. » Le captain avait même promis. Dommage.
Cette tempête (y a pas d’autre mot, déso) aura donc eu raison :
– de la partie rouge du drapeau français (certainement une façon de rendre hommage à Johnny, faute de pouvoir mettre le drapeau en berne) ;
– de la Mistral8, qui est actuellement en train de voguer vers son destin (pas d’inquiétude, elle avait son aileron et sa dérive) ;
– du système de direction qui (nous) a lâché en pleine nuit ;
– du vit-de-mulet9 qui a failli nous faire perdre la bôme ;
– des manches à air, qui vraisemblablement sont plutôt des manches à eau…
Don’t worry, Alex, Bicky II10 est restée bien accrochée au bastingage…
La baston, c’est aussi jouer avec la VHF11 à 2 heures du mat’, parce que t’avais envie de parler anglais à quelqu’un à cette heure-là de la nuit, genre : « Tiens, je vais me faire un nouveau pote. » Donc tu sors avec ton plus bel accent : Have you seen us ? Ouais, déso, moi j’te vois sur l’AIS12 et l’alarme qui sonne depuis dix minutes m’a bien fait comprendre que t’étais pas loin, mais avec les creux, vois-tu, j’ai un peu de mal à voir tes guirlandes, même si c’est Noël sur ton cargo. Réponse après plusieurs échanges : Ohhh you are a sailing boat ! Oui, pauvres de nous. Eh ouais, mec, y a encore des débiles pour se balader dans le coin avec autre chose qu’un porte-conteneurs… Bref, en pleine nuit dans la baston, j’avais envie de parler english à un cargo.
Pour l’arrivée à Porto Santon, ne pas s’étonner de voir dans les fonds à nettoyer :
– des litres d’eau de mer, IO est étanche (vachement plus qu’avant en tout cas), mais quand même… ;
– le contenu des toilettes chimiques, quand t’es gîté sur bâbord, faut arrêter d’aller pisser ;
– le rhum arrangé (quel gâchis) ;
Je ne parle pas (mauvais souvenir) des seize paires de chaussettes qui ont servi de pinoche[13] pour les manches à air…
On a déjà oublié. Bonnets et bottes sont remisés, place aux tongs et aux t-shirts.
Papa Noël, quand tu descendras du ciel, si tu croises une Mistral sur ton chemin, dis-lui qu’on est arrivés à Porto Santo et qu’on l’attend…
Obrigada14.
[1] La pétole et la baston sont deux extrêmes. Pétole signifie « pas d’air ». Je suppose que je n’ai pas besoin de vous faire de dessin pour la baston.
[2] 475 milles = 765 km. Une journée de voiture, somme toute. Légèrement plus long en bateau…
[3] Inclinaison du bateau, elle est fonction du vent. Plus y en a, plus t’es gîté, moins c’est facile de cuisiner à l’intérieur, voire de se déplacer tout court.
[4] Découverte qui mériterait un prix universel. Le Stugeron, c’est le seul médoc’ qui m’aide à surmonter le mal de mer. Je dors deux heures après avoir gobé le comprimé, mais je peux bosser ensuite sur l’ordi toute la journée sans bassine sous le bras. Ce Graal n’est pas en vente en France, les réserves sont donc indispensables.
[5] Mini voile d’avant pas plus grande qu’une chambre de bonne. Quand tu la sors, en général, c’est mauvais signe.
[6] Le rail des cargos, c’est l’autoroute des cargos, ici celui qui part de la Manche (le département, toujours) et qui va jusqu’au sud de l’Espagne. On en trouve dans toutes les zones maritimes du monde, et, en général, le traverser n’est jamais un moment agréable.
[7] Affaler signifie ranger les voiles.
[8] Modèle de la deuxième planche à voile que nous avions à bord du bateau.
[9] On ne parle pas de Bourricot, mais de la pièce reliant la bôme (la longue pièce horizontale sur laquelle est fixée la grand-voile) au mât.
[10] Ma planche à voile, la deuxième du nom.
[11] Radio à très haute fréquence qui nous permet, entre autres, de communiquer (c’est vite dit, faut les comprendre) avec les autres navires alentour.
[12] L’AIS est un appareil permettant de transmettre aux navires (équipés d’un récepteur) les informations relatives aux navires émetteurs dans un certain rayon (position, cap, vitesse, etc.). Il permet surtout aux navires qui émettent (en l’occurrence ici pas nous, mais le cargo) d’être visibles malgré des conditions difficiles (le mot est faible) et d’éviter les collisions (c’est toujours mieux).
[13] Cône de bois destiné à colmater une voie d’eau dans la coque. Ça, c’est la version catastrophe, et autant vous dire que même si l’acier c’est du solide, si y a un trou dans la coque, vaut mieux s’en aller rapido. Ici, donc, on a remplacé les pinoches par des paires de chaussettes. Les manches à air vendues dans les magasins dédiés au nautisme prenaient l’eau à la moindre vague. Pas hyper pratique…
[14] « Merci », en portugais.
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