Bienvenue au cœur de Pérégrinations maritimes d’un ciré jaune sur talons de 12, mon journal de bord depuis quelques années !

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Journal de bord

Chapitre 14

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29 MARS 2019 – BARBUDA, LE PARADIS PERDU OU LA RAISON POUR LAQUELLE NOUS VIVONS EN MER

Sortez des sentiers battus, oubliez les Grenadines et les îles Vierges[1], allez à la rencontre du dernier joyau des Caraïbes… Si faire du près ne vous fait pas peur, foncez à Barbuda et en particulier à Spanish Point, la pointe sud-est de l’île, derrière la barrière de corail. Ce lagon translucide n’a rien à envier aux Tobago Cays, et, avec un peu de chance, si d’autres aventuriers rebroussent chemin avant d’y arriver, vous aurez l’impression d’avoir privatisé cette partie de Barbuda la belle. Il faut avoir le courage de s’aventurer entre les patates[2] de corail qui parsèment le lagon, mais le jeu en vaut la chandelle. Si vous avez plus de 1,80 m de tirant d’eau[3], vous mouillerez un peu à l’extérieur, mais ne ratez ce spectacle pour rien au monde…

Aucun tourisme typique de l’arc antillais, une vue à couper le souffle, juste Dame Nature dans toute sa splendeur. Seuls quelques pêcheurs permettant de s’avitailler en langoustes et les ânes déambulant sur les sentiers rappellent que l’île est habitée.

Le lagon offre quotidiennement un spectacle sensationnel : une eau translucide et étincelante qui recèle LE spot à raies léopard des Caraïbes. Parade nuptiale ou simple jeu, deux raies se tournant autour avant de s’élancer dans les airs vous en mettront plein la vue. Profitez pleinement de la chance que vous avez de vous trouver là, dans cet endroit désert, entourés de cette vie sous-marine qui vous laissera sans voix. Amateurs de kitesurf ou de windsurf, n’oubliez pas votre matériel, vous aurez l’impression d’être les rois du monde…

Déconnectez le temps de cette parenthèse et oubliez vos téléphones, ou bien montez au mât pour recevoir vos mails, vous verrez, c’est super efficace… 

BARBUDA EN DÉTAIL…

Après une dernière semaine de stage de croisière et un tour de Guadeloupe raté (quand ça refuse, ça refuse[4]), les vacances peuvent commencer… Direction Barbuda afin de retrouver l’un des plus beaux endroits des Caraïbes, découvert lors de notre premier tour de l’Atlantique trois ans plus tôt.

Merveille de la nature, nous partons de Guadeloupe direction Antigua par sud-sud-est, 15 nœuds dans le dos, une mer plutôt cool et un soleil digne d’un mois de mars aux Antilles. La vraie vie. Le pied. L’extase. Nous n’avions pas navigué au portant depuis notre traversée en décembre dernier. Il faut dire que cette année, aux Antilles, on en a pris un peu dans la tronche niveau météo. Un alizé plus que soutenu, une mer formée dans les canaux, mais aussi le long des côtes, la navigation inter-îles ne nous a pas vraiment transcendés ces derniers mois. Peu importe, on avait bien vu la fenêtre y a trois jours, cela s’est confirmé, aujourd’hui c’est parfait et ça devrait monter tout droit. Nous arrivons à Antigua avec le coucher du soleil, plutôt pas mal comme timing. 6 nœuds de moyenne au portant, ça aide… Plutôt que rentrer au fin fond de la baie d’English Harbour comme nous l’avions fait trois ans plus tôt (par 30 nœuds), nous mouillons à l’entrée, dans Freeman Bay. La nuit n’est pas encore là, on voit les bateaux au mouillage, on repère un trou où il n’y a personne, on plante la pioche[5] et… c’est l’heure de l’apéro (celui après « l’apéro coucher de soleil » en mer). Un cata british à 60 m nous prévient qu’ici les bateaux tournent dans tous les sens et que cela serait bien qu’on s’éloigne un peu, mais c’était le seul trou de dispo, donc non, on n’a pas prévu de bouger, mais good evening quand même. Belle journée, belle mer, on devrait passer une bonne nuit. Sauf que… Pétole. Et par pétole, dans cette baie, c’est effectivement un vrai manège qui a lieu. Les bateaux tournent dans tous les sens, pas un seul n’est dans la même direction, ça commence à devenir un peu chaud. À vrai dire, on ne risque pas grand-chose à part embrasser le cul du voisin[6], mais pour le principe, si on pouvait éviter… Et, en effet, c’est cul à cul que nous discutons avec notre voisin tribord, dont le bateau est encerclé de tous côtés. Son autre voisin, à tribord, a planté sa pioche avant que l’équipage ne parte dîner à terre, il n’y a donc plus personne à son bord, et ce qui devait arriver arriva. Cul contre tête, et hop les bisous entre bateaux. Après une vigilance (presque) accrue, nous décidons d’aller nous coucher, on ne fera rien de plus ce soir, en espérant que le vent revienne et que les bateaux puissent se remettre dans l’axe. 

Lendemain matin, même manège. Deux bateaux prennent leur petit-déjeuner à couple, entre quelques pare-battages… Un mouillage dans lequel nous ne reviendrons pas, c’est certain. En revanche, on est quand même là pour faire la clearance[7]. Un petit coup d’annexe, et hop ! nous voilà dans les bureaux des douanes d’English Harbour. L’accueil est bien plus désagréable que trois ans plus tôt (c’est d’ailleurs leur réputation entre plaisanciers), notre première interlocutrice nous demande pourquoi nous n’avons pas fait la clearance par Internet. Officiellement, nous n’avons pas d’ordinateur à bord ; officieusement, on n’y a même pas pensé, et puis, s’il y a un bureau à terre, c’est pour faire joli ou quoi ? Le ton n’est pas plus aimable quand nous annonçons à cette dernière que, bien évidemment, nous ne nous rappelons pas notre mot de passe relatif au compte créé en 2016 sur le logiciel d’Antigua permettant de faire les clearances en ligne. L’histoire commence donc mal. Après quelques manip’, le mot de passe est renvoyé sur notre boîte mail qu’il nous faut aller consulter au bar du coin. Non, ici, ils n’ont pas Internet. Ah. Curieux, mais d’accord, allons renflouer la caisse du bar d’à côté. Un code wifi pour un jus d’orange à 7 USD, ça fait cher le mot de passe. Nous voilà de nouveau dans le bureau, mot de passe en main, et notre plus beau sourire au coin des lèvres. Va falloir la brosser dans le sens du poil, car la procédure n’est pas finie. On remplit notre formulaire, pas de date de départ, on ne sait pas quand on a prévu de repartir. Douanes, ok, l’immigration, c’est le bureau suivant. Passport, please. Et là… Un coup de fil, deux coups de fil. When did you come for the last time ? « Y a trois ans, pourquoi ? » Puis on nous demande où l’on a effectué notre clearance de sortie. On se regarde avec le captain. Aïe. In Barbuda, of course, why ? La réalité, c’est que la clearance de sortie, trois ans plus tôt, on ne l’a jamais faite, on a dû oublier, ou alors on n’avait pas très envie de se farcir 40 milles pour revenir de Barbuda à Antigua avant de repartir à Saint-Martin[8]. Quoi qu’il en soit, le discours est bien rodé : nous avons fait notre clearance à Barbuda, point. Voilà notre troisième interlocutrice qui nous demande de la suivre, sueurs froides. Elle explique notre cas à son boss, et nous ne pouvons que constater – au cas où y aurait un doute – qu’il n’y a aucun tampon de sortie dans le passeport du captain. Quant à moi, heureusement, j’ai changé de passeport entre-temps. Rebelote. Where did you make the clearance of departure? In Barbuda of course, why? Et nous devons avouer que nous avons eu de la chance… Le bureau de Barbuda n’étant pas informatisé (du moins, il ne l’était pas il y a trois ans, on écrivait alors sur du papier carbone, à l’ancienne), impossible de vérifier la véracité de nos propos, qui d’ailleurs semblent tout à fait cohérents hormis le fait que, s’il est effectivement possible de faire une clearance de sortie à Barbuda, il est de toute façon impératif de repasser par Antigua pour l’immigration[9]. Bref, sueurs froides de nouveau, un captain qui ne pige rien (l’anglais des autochtones, ici, faut être balaise pour le comprendre). Et la sentence : You HAVE to come back here when you will leave, or you will have big problems. Yes, Sir, I understand, we will come back for the clearance, of course. Thank you, have a good day[10].

Nous ressortons de là en ayant l’impression d’avoir perdu 5 kg chacun, on l’avait bien lu que c’était 1000 USD d’amende si on ne faisait pas les choses dans les règles de l’art chez les Anglais, et ce n’était pas une blague. On vient donc d’économiser un beau billet en deux heures, et on repart la tête basse. Vite, on se tire avant qu’ils changent d’avis…

Départ donc en direction de Barbuda, 30 milles au nord-est d’Antigua. Ce n’est qu’à trois milles de la côte que nous l’apercevons enfin, Barbuda est si plate qu’il est impossible de la distinguer longtemps à l’avance. Nous sommes encore sur un coup vent de sud-est, mais nous savons qu’il faut en général faire pas mal de près pour l’atteindre, c’est la raison pour laquelle très peu de gens s’y arrêtent. Tant mieux, on sera peinards. Nous mouillons pour ce soir à Coco Point, après avoir slalomé entre les patates de corail pour atteindre le mouillage. Spanish Point, la pointe sud-est, ce sera demain, avec le soleil dans le dos, rapport aux patates que l’on voit mieux quand on n’a pas le soleil dans les yeux… Une dizaine de bateaux est déjà au mouillage en face d’une baie de sable blanc immaculé, un gros voilier de 40 m, quelques tentes de luxe sur la plage, nous y voilà, Barbuda n’a pas bougé. Le lendemain matin, c’est un hydravion qui nous surprend au réveil. Atterrissant au beau milieu des bateaux au mouillage, il attend que la vedette amphibie à chenilles (véridique…) descende de la plage pour lui ramener ses passagers. Cela n’a pas duré plus de quinze minutes, le voilà qui repart avec, à son bord, certainement quelque personnalité ou famille haut placée. Nous débarquons au bord en annexe pour un petit tour d’horizon, et nous nous apercevons que l’ancien hôtel ravagé par le cyclone Irma un an et demi plus tôt a laissé place à des tentes immenses, un restaurant et un complexe sportif, kite et compagnie. Un garde vient nous avertir que nous sommes sur une propriété privée, et que nous pouvons rester au bord de l’eau, mais qu’accéder au reste de la plage nous est interdit. Soit. Nous partons à Spanish Point, nous savons que, là-bas, nous ne serons pas dérangés… Nous apprendrons la semaine suivante que les tentes de luxe de Coco Point et les attractions qui s’y rattachent sont en réalité destinées à recevoir les futurs investisseurs de Barbuda. Bill Gates et la famille royale d’Angleterre sont évoqués, il est donc temps de profiter de ce paradis avant que l’accès à l’île tout entière ne soit interdit. Nous décollons donc pour Spanish Point, la pointe sud-est de l’île, derrière la barrière de corail. Et notre entrée dans le lagon nous confirme que nous avons retrouvé ce que nous étions venus chercher trois ans plus tôt. Une vue à couper le souffle, un lagon translucide, Barbuda… Nous mouillons dans 2 m d’eau, 30 cm sous la quille, ça paaaaasse, ça y est, nous avons retrouvé notre place entre deux patates, et le (seul) bateau voisin ne devrait pas nous déranger… Pas de bol pour lui, ce sont trois autres catamarans qui nous ont suivis jusqu’ici, et qui ont décidé d’encercler celui qui était seul au monde jusqu’à notre arrivée. Toute cette petite troupe s’en ira dès le lendemain, nous resterons seuls au mouillage dans notre lagon privé pendant quinze jours avant l’arrivée d’un autre navire…

Spanish Point est sans conteste un diamant brut. Un lagon de 3 milles de long, une plage de sable rose (quand on la trouve, car elle bouge sans cesse), et aucun tourisme comme on en croise tant dans les Caraïbes. À part quelques pêcheurs à qui nous achèterons des langoustes (et à qui nous donnerons de l’eau, denrée plus que rare sur cet îlot de paradis), nous ne croiserons personne sur cette partie de l’île pendant presque quinze jours. Seuls les ânes nous rappellent à l’ordre, et le lagon nous offre quotidiennement un spectacle sensationnel. Il n’est pas de plus beau moment que se lever et contempler à 360 degrés une eau verte translucide, non pas turquoise, mais d’un vert étincelant, sensationnel. Pouvoir contempler son ancre avec 20 m de chaîne depuis le pont du bateau, la voir comme si nous étions sous l’eau, cela nous scotche chaque jour davantage. Peu de tortues dans cette partie de Barbuda, entre les patates de corail, il n’y a que du sable[11], mais aussi une vie sous-marine extraordinaire. J’avais le souvenir d’avoir aperçu lors de notre dernier séjour une raie tourner autour du bateau, nous allons vite nous rendre compte que nous sommes (très) bien entourés. Notre première journée nous offre un spectacle grandiose : les sauts de deux raies léopard majestueuses se tournant autour avant de s’élancer dans les airs nous font nous sentir tout petits devant cette merveille de la nature. En plongeant, nous croisons des raies couleur sable, celles que nous trouverons les moins aimables, les pastenagues. Se confondant avec le fond, on les aperçoit à la dernière minute et leur comportement n’est pas des plus accueillant. Puis, c’est la rencontre… avec les reines du spot. Quinze jours à les voir tourner autour du bateau, à nager avec elles, à faire des films au plus proche de ces animaux tout bonnement somptueux. Majestueuses, leur dos est d’un graphisme surprenant, les couleurs nous éblouissent et nous en prenons plein la vue. Nous profitons pleinement de la chance que nous avons de nous trouver là, dans cet endroit désert, entourés de cette vie sous-marine qui nous laisse chaque jour sans voix. 

Les jours se suivent et se ressemblent, alternant entre plongées avec les raies, exploration des patates de corail et des poissons qui y habitent, rencontre avec le barracuda gardien du quartier, kitesurf, planche à voile et nage dans une piscine géante à 27 °C. Ôôô la belle vie. 

Barbuda m’offrira mes premiers vrais bords de kite, descendant ce lagon sur des kilomètres et des kilomètres, à une vitesse inimaginable grâce à la simple traction de ce cerf-volant géant.

Nos réserves nous permettent trois semaines d’autonomie (tant pour l’eau que pour la nourriture), après il faudra nous en aller, alors chaque jour nous nous délectons de ce spectacle qui nous entoure.

Malheureusement, comme beaucoup d’îles, Barbuda a aussi ses faiblesses. Sa côte au vent est une véritable poubelle. La situation géographique de l’île en fait une cible directe pour tout ce qui arrive des côtes européennes et africaines. Les balades le long de la côte au vent sont désolantes. En plus des sargasses qui ravagent désormais les îles antillaises, chaque mètre carré de la côte au vent[12] de Barbuda est recouvert de filets, plastiques, bouées, pneus, etc. Quelle tristesse de voir ce littoral ravagé par ce que l’alizé lui apporte. N’importe quoi peut traverser l’Atlantique et arriver de l’autre côté, preuve en est. Cela n’est pas nouveau, ce triste amas de détritus sur des kilomètres de long était déjà là il y a trois ans, il est juste déplorable que la population ne fasse rien pour redonner de l’éclat à cette partie de la côte. Les tentes sur la plage en face du bateau nous confortent dans l’idée que nettoyer n’est pas la priorité des habitants, les pêcheurs vivant eux-mêmes dans leurs propres poubelles… Si vous voulez vous essayer au trashtag challenge, vous êtes au bon endroit ; le World CleanUp Day, c’est chaque année… et la planète a besoin de nous.

Ce triste spectacle ne nous empêche cependant pas de profiter de ce coin de paradis dans lequel la nature est reine. Il est merveilleux de passer trois semaines seuls au mouillage, sans se préoccuper de rien ni dépenser un centime (il n’y a de toute façon rien à moins de 16 km de marche), en totale harmonie avec les éléments. 

Voilà ce que nous cherchons, voilà la raison pour laquelle nous vivons en mer, pour ces moments d’extase et de bonheur à l’état pur. 


[1] On les appelle aussi les Virgin Islands ou BVI (à prononcer bivi-aïe), pour info, si l’on veut paraître cultivé à l’apéro.

[2] Pas celles pour faire les frites, voyons ! Quand je parle de « patates », j’évoque les rochers, le corail sous forme de bancs.

[3] Hauteur de la partie immergée du bateau. C’est la distance verticale entre la ligne de flottaison et le bas de la quille. Une hauteur de captain sur IO (1,80 m).

[4] En navigation, une refusante est une variation de la direction du vent qui désavantage un voilier. Et, cette semaine-là, faut croire qu’on n’a croisé que des refusantes sur la route.

[5] Argot maritime : autre nom que les marins donnent à leur ancre.

[6] Du tableau arrière de son bateau, bien sûr, pas du voisin en personne…

[7] Toujours les mêmes déclarations et démarches administratives pour rentrer en terre inconnue. Ne pas jouer dans les îles anglaises, sous risque de peine carcérale.

[8] Lu dans mon carnet de bord de 2015 : « On décide de ne pas s’arrêter à Antigua pour faire la clearance, sinon on se coltinera à nouveau du sud-est, et bon courage pour arriver en Guadeloupe… Bon choix, même si l’arrivée pointe des Châteaux a été rude… » Y a plus de doute, la clearance a été quelque peu zappée du programme cette année-là !

[9] Ce qui n’est plus le cas en 2022, où l’on peut tout faire sur place directement à Barbuda.

[10] Vous avez l’obligation de repasser ici faire une clearance à votre départ, sinon vous aurez de gros problèmes. Bien sûr, Monsieur, j’ai compris.  Nous reviendrons. Merci et bonne journée !

[11] Les tortues vivent plutôt là où il y a des herbiers (rapport à ce qu’elles mangent, de la salade plutôt que du sable).

[12] La côte la plus exposée à l’alizé, la côte est (et non ouest) de l’île.

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