
Bienvenue au cœur de Pérégrinations maritimes d’un ciré jaune sur talons de 12, mon journal de bord depuis quelques années !
Vous êtes éditeur ?J’AI MOINS D’APPÉTIT… QU’UN BARRACUDA
Entre deux turnovers de bateaux voyageurs, on a quand même réussi, cette année-là, à passer près de quarante-huit heures seuls à Spanish Point.
Ni une ni deux, on reprend les bonnes vieilles habitudes, et c’est en tenue « plutôt légère » que je décide d’aller nager pendant la sieste du captain. Certainement un sursaut de prise de conscience après toutes ces soirées feu de bois…
La patate à 100 m du bateau, elle sera très bien pour un petit tour d’horizon et un repérage d’éventuelles langoustes pour l’apéro. Je donnerai ensuite la position GPS des demoiselles au captain, qui ira achever le travail.
Sauf que.
Sauf qu’en arrivant sur la patate, j’ai pas vraiment eu le temps de repérer quoi que ce soit.
Puisque c’est moi qui ai été repérée. Par le boss du quartier. J’ai nommé LE barracuda d’1,80 m que l’on connaît bien par ici, mais qu’on préfère voir de loin.
Qu’à cela ne tienne, je fais le tour des cailloux par l’autre côté, il va bien avoir d’autres poissons-chats à fouetter et s’en ira sans demander son reste. Ça, c’est ce que je pensais. Car au-delà de s’intéresser un peu trop à moi, c’est aussi d’un peu trop près qu’il a décidé de faire connaissance.
Ok, ok, j’ai compris, c’est ton territoire, je m’en retourne à mon tas de ferraille. Le cœur battant à mille à l’heure (il faut bien ça), je fais (tranquillement) marche arrière, en marche arrière. Entendez par là que c’est à reculons que je décide de rentrer au bateau. Un œil sur le prédateur, un œil sur le navire, je palme, je palme, et je commence à ne pas vraiment la sentir, la promenade en tenue d’Ève, la tête hors de l’eau-dans l’eau-hors de l’eau, en marche arrière…
Mon garde du corps improvisé est désormais à 10 cm de mes palmes. En haut, en bas, il monte, il descend, en gardant ladite distance de sécurité de 10 cm (c’est peu, je le concède). Tout cela la gueule grande ouverte en claquant des dents, genre « j’te boufferais bien toute crue ». Digne du Petit Chaperon rouge.
Moi, un peu sous adrénaline, il faut bien l’avouer, je me dis que si je hurle (dans mon tuba), les vibrations sous l’eau lui feront peur. Qui ne tente rien n’a rien. J’avais (dans l’euphorie du moment) omis que les ouïes des poissons n’ont rien à voir avec le sens (l’ouïe) et que ces derniers, même avec un bon sonotone, n’entendent rien, sous l’eau comme sur terre… Ces tentatives (bruyantes et acharnées) n’ont eu d’autre effet que de le faire sourire davantage. Quant à moi, je me demandais depuis déjà 50 m comment je pourrais vivre avec une jambe en moins.
Mon concerto pour tuba a toutefois réussi à réveiller mon captain (enfin !), et il en faut quand il est à la sieste… Je vois donc l’annexe descendre du bateau[1], je sens que la fin (du cauchemar) est proche. Avec les vibrations du moteur, terrorisé, le barracuda va certainement retourner d’où il vient. Tu parles. Peur de rien. Ce n’est qu’une fois la main sur la poignée de l’annexe que je l’ai vu faire demi-tour précipitamment, et… je crois bien… avec un clin d’œil.
Vu la taille de la bête, on l’a finalement (le barracuda) baptisé Matthew-John, comme le douanier de Barbuda (2 m pour 130 kg) à qui (au coin du feu, lors d’une énième soirée pizza) l’on a raconté ma mésaventure. Très sérieux, MJ (le vrai, donc) nous somme de le capturer, car, je cite : « Un barracuda agressif, on n’en veut pas ici. » Ouais, enfin, il est quand même chez lui, le monstre (le barracuda, pas MJ).
On n’aura qu’à l’appeler pour qu’il vienne le chercher, et il le partagera avec les villageois de Codrington (rapport à la ciguatera, hors de question qu’on le mange, nous autres Blancs à l’estomac fragile). J’aurais bien aimé, MJ, mais pour capturer un barracuda de la taille du captain, faut le matos, et c’est pas avec mon fusil à poisson rouge que je vais faire quelque chose. Ce que je gagnerais, peut-être, c’est un tour de ski nautique tracté derrière un barracuda…
L’histoire ne dit pas (mais elle le dit quand même) que le lendemain, alors que je racontais avec moult précautions (pour ne pas trop l’effrayer) ma rencontre de la veille à ma mère au téléphone (malgré tout affolée, à 7000 km de là, et qui m’interdisait déjà la baignade pour les quinze prochaines années), je vis passer tranquillement derrière le bateau, l’air de rien, le barracuda farceur, suivi d’un requin (un vrai) qui passa l’après-midi à me mater en train de bronzer. Non, ça, je ne lui ai pas raconté.
[1] La nuit, l’annexe (notre voiture des mers) est suspendue sur le côté du bateau, elle ne reste pas dans l’eau. À cause des algues. Et des voleurs. Une annexe de qualité (et surtout un moteur convoité) qui se promène derrière un bateau, la nuit, ça peut faire des envieux… Mais pas à Barbuda. Ici, donc, c’est pour que les algues ne poussent pas sur la carène qu’on la remonte tous les soirs.
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