Bienvenue au cœur de Pérégrinations maritimes d’un ciré jaune sur talons de 12, mon journal de bord depuis quelques années !

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Chapitre 20

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JANVIER 2022, BACK TO WORK

Les textes précédents vous ont exposé mon point de vue souvent nauséeux de la vie en mer. Non, la vie en mer n’est pas un long fleuve tranquille. C’est un fait, mais je m’en accommode vraisemblablement. Tant que y a encore du Stugeron en stock, tout va bien.

Au-delà des moments inconfortables, il y a également eu de nombreux moments exceptionnels depuis le second départ de France. Les multiples confinements se sont avérés des moments extraordinaires de rencontres, d’échanges, de partage. Le Stugeron était alors bien planqué dans la pharmacie.

À présent que l’épisode Covid semble derrière nous, l’école de croisière sur IO peut reprendre à temps plein. (Je peux aussi ressortir le Stugeron du fond de son placard…) Nous recevons à bord ceux qui souhaitent apprendre à naviguer sur habitable. Projet de vie ou simples vacances, à la journée ou sur dix jours, nous partageons notre maison et notre quotidien avec nos stagiaires. 

Il est temps de révéler la vérité sur l’école de croisière. Entre semaines merveilleuses et grands moments de solitude, c’est pas toujours la joie… Et, comme vous allez le constater, gérer des humains n’est pas forcément plus facile que gérer sa bassine.

***

Après un Noël en solo baie des Anglais, sous une pluie diluvienne (vivent les Antilles, pour des vacances entre le 25 et le 31 cette année, c’est raté), et un 25 au soir en mode « marathon de la bouffe, c’est pas fini » chez les copains, le 26, on n’a pas le choix, on a rendez-vous avec des clients sur la côte sous le vent. Des clients qui viennent d’acheter un 14 m, avec deux enfants en bas âge, et sans avoir jamais mis les pieds sur un bateau. Le pur cliché… En tout cas, avec leur 14 m acier, eux aussi font partie du clan des « ça rouille ma poule » !

Ils sont arrivés de métropole le 24, et c’est le 26 au soir qu’ils nous ont donné rendez-vous pour déterminer leurs objectifs. En fait, ça les aurait bien arrangés que l’on arrive plus tôt, car ils n’ont plus d’eau dans le bateau, et déplacer leur cargo de quinze tonnes à la marina, ça n’a pas l’air de trop les brancher. Oui, d’accord, mais nous on n’est pas sur place, donc allez faire l’aumône, vous verrez, les enfants ça aide à tous les coups. 

En fait, c’était simplement que l’eau n’était pas ouverte, mais ça, ils l’ont su après…

Et pendant cette semaine de boulot pour le captain, les demandes affluent. Les DOM sont pour l’instant ouverts, le tourisme a repris, les demandes (stupides) aussi. 

Ce soir, c’est une réservation pour six personnes que je reçois. Il me semble pourtant qu’il est écrit en gros sur le site que nous ne prenons que deux stagiaires. La dame a repéré notre cata. Là, c’est en effet la cata, car IO, jusqu’à preuve du contraire, n’a bien qu’une seule coque. Deux lignes plus loin, il est expressément mentionné que lesdits stagiaires souhaiteraient aller voir le coucher de soleil en même temps que les baleines. On a déjà du mal à avoir de bons couchers de soleil tous les soirs, les baleines, nous, ça fait cinq ans qu’on les cherche… Cela dit, sur les plages, y en a un paquet. Réservation refusée. 

Le lendemain, nouvelle demande pour trois jours. Trois jours, c’est bien. Quand ils sont deux, c’est rentable (faut le dire), et c’est pas trop long s’ils sont pénibles (ça arrive). Un couple qui souhaite naviguer trois jours, ok, les dates sont bonnes, ça s’annonce pas mal. Sauf que, deuxième mail plus tard, ce qui inquiète la femme, ce sont les toilettes. Ça tombe bien, on vient de s’en faire livrer direct de Martinique. L’entraide entre les voileux perdure, et ça c’est vraiment chouette. (Cela dit, on a eu du bol, car le « livreur[1] » de toilettes venait en Martinique pour un charter, et ses clients avaient le Covid, croisière pas encore annulée, mais pas loin… On aurait pu pisser dans un seau encore quelques semaines, mais c’était limite pour l’image de marque…) Pas de souci, ma bonne dame, il y a bien des toilettes à bord et vous aurez la plus belle salle de bains du monde, avec vue à 360. Le lendemain, ça se gâte. « Pourrions-nous aller à Marie-Galante ou Saint-Kitts ? » C’est la première fois qu’on entend ça. Saint-Kitts, je veux dire. Le coup de Marie-Galante pour un week-end en amoureux, on nous l’avait déjà fait. Quarante-huit heures de mer aller-retour pour un petit week-end tranquille avec le canal de la Dominique et celui des Saintes à passer deux fois, cool hein ? Sauf que. Nous sommes en Martinique. Donc vingt-quatre heures de mer pour Marie-Galante, et quarante-huit heures pour Saint-Kitts, au bas mot, si tout se passe bien. Pour un séjour de soixante-douze heures, même si IO est l’acier le plus rapide de l’Ouest, on va commencer à être short. Qu’à cela ne tienne, je dégaine mon plus beau discours : « Étant donné les restrictions Covid (vous n’êtes pas sans savoir que les tests PCR et restrictions existent à présent partout dans le monde, et que les règles changent en permanence), nous pouvons vous proposer un tour des mouillages de Martinique. Madinina[2] comporte en effet de nombreux mouillages, tous plus beaux les uns que les autres. » Et on en remet une couche : « J’attire votre attention sur le fait que nous sommes une école de voile, ainsi vous participerez en permanence au fonctionnement du bateau. Bla bla bla. » C’est bon, je suis assez claire, là ? Vraisemblablement pas assez, puisque nous recevons comme réponse, je cite : « Éventuellement, est-il possible de s’arrêter au port pour qu’on puisse dormir en ville ? Si oui, quels ports sont possibles ? On n’a pas d’expérience de dormir en mer, donc on aimerait avoir un plan B. » Tout est dit, merci, au revoir, je vous suggère de trouver une cabine sur un catamaran, ce qui me semble davantage approprié à votre recherche. 

Fête à neuneu. Déjà que le Covid est dur à gérer, par pitié, pas des relou. Et en parlant de fête à neuneu, à l’anse Mitan, en face de Fort-de-France, c’est Disneyland. Flyfish, Jet ski, parachute ascensionnel au milieu du mouillage, sans oublier les navettes toutes les demi-heures qui te font valdinguer dans le bateau si tu n’es pas préparée… Le tout agrémenté d’un petit feu d’artifice pour le 31. Le couvre-feu de 20 heures ? Connaissent pas. Les enceintes ont tourné jusqu’à 3 heures du mat’. Y a pas à dire, la tranquillité, ça a un prix. La semaine du captain se termine. Si les clients arrivent à aller d’un point A à un point B au moteur, il aura déjà bien bossé. C’est assez clair, comme image ? Eh non, ce n’est pas un métier facile tous les jours. Le Covid a démocratisé le voyage en bateau, qui se résume, d’après les anciens propriétaires du bateau voisin à : « tu mets de la chaîne, toujours plus de chaîne, encore plus de chaîne » et « jamais de rendez-vous ». Ceux-là avaient au moins compris certains principes !

Niveau rendez-vous, on a quand même deux stagiaires dans deux jours que l’on n’arrive toujours pas à joindre. Alors, vol annulé ? Covid ? Téléphone perdu ? Surprise, surprise. Bienvenue 2022, on avait hâte de rebosser, et on a l’impression que, cette année, on ne va pas être déçus… Entre les prochains clients qui doivent venir de Suisse, et ceux qui arrivent de Marseille, c’est pas encore gagné. 

Pas grave, la semaine prochaine, on s’éclate. Sortie d’eau prévue pour carénage numéro 235. Passage chez le voilier pour faire réparer la traditionnelle déchirure de grand-voile annuelle. (Toujours en début d’année. Trois ans de suite, va falloir se poser quelques questions. Ou changer de GV, la garde-robe d’IO commence à vieillir). Tant qu’on y est, on va s’offrir une nouvelle ancre, déraper ça commence à nous gonfler. Et puis, si on pouvait trouver la fuite électrique qui fait que le moteur pompe toutes nos batteries[3], et régler la fuite de gaz du frigo, alors on commencera bien l’année…


[1] Coucou Arnaud et Valentine ! 

[2] Madinina : « l’île aux fleurs », surnom de la Martinique.

[3] Il se trouve que l’on a constaté, quelques semaines plus tard, avec l’aide d’un électricien, que le captain avait branché les batteries sur le négatif… 

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